RAPPORT DE PAOLO PULINA À LA RENCONTRE INTERNATIONALE D’ÉTUDES “LA RÉCEPTION DES OEUVRES ET DE LA PENSÉE DE GRAMSCI EN FRANCE”,  PARIS, 12 MAI 2018

Paolo Pulina durante il convegno a Parigi dedicato a Gramsci in Francia

di PAOLO PULINA

Pubblichiamo il testo integrale della relazione in francese con cui Paolo Pulina, vicepresidente della Federazione Associazioni Sarde in Italia (F.A.S.I.), leggendone per motivi di tempo solo la prima parte, ha introdotto a Parigi, sabato 12 maggio 2018,  i  lavori del convegno internazionale su “La ricezione delle opere e del pensiero di Gramsci in Francia”. In questo sito sono state pubblicate tutte le informazioni sul convegno:

http://www.tottusinpari.it/2018/05/14/a-parigi-successo-di-una-splendida-giornata-franco-sarda-convegno-internazionale-su-la-ricezione-delle-opere-e-del-pensiero-di-gramsci-in-francia-incontro-dei-giovani-s/

 

http://www.tottusinpari.it/2018/05/16/torna-a-sventolare-alta-la-bandiera-dei-quattro-mori-nella-capitale-francese-nasce-sardos-inparis-il-nuovo-circolo-sardo-di-parigi/

 

Première partie

La réception des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France, 1953-1975

J’ai dédié ma thèse en Lettres Modernes (Université de Milan, année universitaire 1977-1978, superviseur M. le professeur Franco Fergnani, enseignant de Philosophie morale) à “La ricezione di Gramsci in Francia” [“La réception des oeuvres et de la pensée de Gramsci en  France dans les années 1953-1975”].

Les pages concernantes les livres pas encore traduits – à celle date – en Italie ont eté publiées  en octobre 1978, dans le  n. 19,  réferé à différents aspects de l’organisation culturelle en  France,  dans la revue “Bollettino per Biblioteche” [“Bulletin pour Bibliothèques”]  de l’Administration Provinciale de Pavie.

Grâce à la publication de ce large extrait, mon travail a pu être connu par les spécialistes français de Gramsci, qui  l’ont  cité  dans leurs  écrits.

On peut voir l’essai de  Georges Labica La réception de Gramsci en France: Gramsci et le Parti Communiste Français dans le volume, publié  par  André Tosel en  1992, qui  recueille  les actes du colloque franco-italien de Besançon, 23-25 novembre 1989, qui a le titre  Modernité de Gramsci?

On peut voir l’essai  de André Tosel Gramsci in  Francia paru  en italien dans le  volume collectif Gramsci in Europa (France, Espagne, Angleterre, Russie) e in  America (États Unis, Brésil, Amérique Latine) publié en Italie par l’editeur  Laterza en janvier  1995, sous la direction de l’historien anglais Eric J. Hobsbawn (célèbre au niveau international) et sous la coordination  de  Antonio A. Santucci.

On peut voir  la citation dans le livre de Peter D. Thomas, The Gramscian Moment. Philosophy, Hegemony and Marxism, 2009; et  dans le volume intitulé Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, 2011 et ensuite 2014 e  2016.

J’omets les autres citations dans les livres parus en Italie sur l’argument.  Mai je ne renonce pas à signaler mon  petit scoop, c’est-à-dire la découverte – bien d’années depuis ma thèse    – d’un texte sur Gramsci  écrit  en 1948 par un  important écrivain français du vingtième siècle, Claude Roy,  texte echappé aux bibliographes.

En 1978, ma thèse se proposa  donc  de rétablir les étapes  à travers lesquelles est arrivée la pénétration en France des écrits de Gramsci en traduction et s’est renforcée la diffusion de sa pensée, en particulier à partir des premières années 1960 du vingtième siècle, alors que – à conclusion d’un quinquennium dans lequel l’intérêt pour Gramsci de la part de spécialistes singuliers avait été intense –  se réalise en France une véritable “Gramsci-Renaissance”, c’est-à-dire la découverte “enthousiaste” du penseur sarde de la part  de vastes couches d’intellectuels.

Cette “explosion” d’études sur Gramsci n’est pas importante seulement parce qu’elle obtient le résultat  d’une diffusion au niveau de masse du débat sur la personnalité et sur l’oeuvre du théoricien sarde, mais  aussi  – e surtout – parce qu’elle impose une reconsidération de Gramsci même en Italie.

En effet, les études sur Gramsci parus en France dans les années 1965-1975 appartiennent à la bibliographie essentielle pour tous les chercheurs qui veulent réfléchir sur  Gramsci.

Analyser les étapes  à travers lesquelles est arrivée en France la connaissance de Gramsci surtout dans les années 1965-1975 c’est utile pour établir une comparaison avec les phases contemporaines à travers lesquelles l’interprétation de Gramsci est passée en Italie.

Dans l’espace de ce rapport je peux seulement synthétiser les conclusions de mon étude du 1978, relatif à l’itinéraire historique de la diffusion des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France.

Dans la période 1949-1975 la “fortune” en France  du théoricien  marxiste italien est passée essentiellement à travers trois phases:

1)         diffusion de l’image humaniste du «grand italien» (1949-1964);

2)         discussion de Gramsci en tant que philosophe (1965-1968);

3)         découverte de Gramsci en tant que homme politique (1969-1975).

Je pense que le causes de la très faible incidence  de la pensée gramscienne dans le débat  philosophique  et culturel qui s’est développé  en France  jusqu’au  1965 ne résident pas dans le lieu commun du «chauvinisme culturel». Ces causes ont des racines précises  dans la prédominance  d’ une conception ossifiée, catéchistique, du marxisme et de la philosophie du marxisme (le soi-disant «matérialisme dialectique», le DIAMAT), comme a justement observé Jacques Texier (le philosophe  qui  plus que tout le monde a approfondi  les thèmes objects de ma thèse et les analyses duquel je partage).

De ce point de vue la discussion de  Gramsci  en tant que philosophe est devenue  une pierre de touche dans la perspective, et dans la réalisation, d’ une effective libération par rapport aux chaînes, aux anneaux étouffants du «materialisme dialectique», du dogmatisme de Staline et du conformisme de la politique culturelle  établie par  Staline et defendue avec acharnement par Andrej Aleksandrovič Ždanov.

La valorisation de Gramsci en tant que philosophe  doit être attribuée sans doute  à «l’evolution du débat théorique à l’intérieur  du mouvement ouvrier international», comme a écrit Gian Carlo Jocteau (Leggere Gramsci, p. 136).

En 1965 paraissent  les deux  textes du philosophe Louis Althusser Pour Marx e Lire «Le Capital» qui “fondent” la recherche théorique marxiste de laquelle Althusser dans la préfation à Pour Marx déplore la «tenace absence» en France. La reconstruction épistémologique de la «philosophie marxiste» realisée par Althusser soulève un débat vaste et enflammé auquel  participent tous les répresentants plus remarquables de la pensée marxiste (ci-inclus  Jacques Texier).

Même Gramsci est jeté dans la mêlée. Dans  Pour Marx Althusser proclame la «génialité» de Gramsci dans l’analyse du rôle et de l’action des superstructures  (sur l’ensemble des rapports de production, qui constituent la structure économique de la société, s’élèvent  des superstructures juridiques et politiques auxquelles correspondent des formes determinées de la conscience sociale).

Au contraire, dans Lire “Le Capital” (en particulier dans le chapitre  Le marxisme n’est pas un historicisme) Althusser attaque durement la tradition historistique italienne  et  surtout  la conception gramscienne de l’ «historicisme absolu».

Sur la découverte post-1968 de Gramsci en tant que homme politique et surtout sur la diffusion – au niveau de la masse des intellectuels français – des thèmes fondamentaux de sa pensée politique  ont eté présentées  des  explications qui peuvent être facilement partagées.

1)Le  reflux de l’influence idéologique des courants gauchistes (surtout celles d’ inspiration maoiste) a favori (à côté de certains phénomènes de régression politique) la récupération d’une analyse marxiste lointaine du conformisme stalinien ou néo-stalinien.

2) La crise du  rôle traditionnel  des intellectuels (qui s’est verifiée  surtout en rapport  avec les bouleversements produits par  les idéologies de l’année 1968) a suscité l’intérêt vers le  théoricien  qui, dans le domaine  marxiste, a plus que tout le monde  approfondi l’étude de la fonction des intellectuels.

3)         La question  de la «transition au socialisme» dans les  societés capitalistiques occidentales a trouvé dans la stratégie gramscienne de la «guerre de position» un point de repère fécond, ou mieux irremplaçable. En particulier  le  concepts gramsciens de “hégémonie” (direction politique des masses fondée sur leur consensus obtenu au niveau idéologique, donc dans le domaine des idées, grâce à l’action des intellectuels) et de “bloc historique” (l’hegemonie, mouvement qui part des  intellectuels et qui  s’adresse vers le peuple,  crée  un bloc historique de caractère social) deviennent populaires et diffusément utilisés.

En d’autres termes, Gramsci  reconnaissait aux idéologies (la superstructure) la capacité de mobiliser les masses et de conditionner la structure économique, et d’agir, ainsi, sur le «bloc historique» (l’ensemble  de la structure et de la superstructure) comme facteur de changement de la  société toute entière.

Autour du phénomène de la «Gramsci-Renaissance» en France ont été formulées  aussi des  autres valutations  que je considère pas convaincantes partiellement ou totalement.

  1. a) Selon la malicieuse explication psico-sociologique (referée au fonctionnement des mécanismes de la «mode culturelle») avancée par Robert Paris, l’infatuation des intellectuels français pour Gramsci a eté aussi une mode qui est survenue à l’épuisement  d’ une autre mode analogue, celle pour  le philosophe Louis Althusser.
  2. b) Il existe enfin une explication (a mon avis «ridicule») proposé en 1974 par Tito Perlini, selon lequel le phénomène de la «Gramsci-Renaissance» est le résultat d’une torve opération promue par le «révisionnisme»: «L’importance de la diffusion de Gramsci en France et en Europe se révèle pleinement si l’on pense à celle qui  a été, en ce moment, la position  du Parti Communiste Italien  envers le Marché Commun Européen et envers les thèmes “européistes”: ce qui comporte l’adhésion aux organismes économiques et politiques européens (en soutien à Willy Brandt et à la Ostpolitik, conformement aux intérêts soviétiques)».

Nous ne pouvons pas exclure  a priori che, même  dans le cas de la «Gramsci-Renaissance», aient  fonctionné les actions de la mode culturelle, exploitée ou promue par l’«industrie culturelle» et amplifiée par les mass-media (on peut  considérer comme  symbole de l’ image de Gramsci répandue par les  quotidiens et par les  hebdomadaires français d’information, entre  les nombreux dessins  qui à lui ont été dédiés, la vignette dessinée par Wiaz [Pierre Wiazemsky], parue dans  «Le nouvel Observateur»).

Je crois toutefois que nous devons mettre au premier plan, parce que  effectivement incontestables  et essentielles, les explications enoncées auparavant aux points 1), 2) et 3).

En particulier, en  rapport avec le point  2), je considère  fondée l’observation de  Christine Buci-Glucksmann selon laquelle l’intérêt de la part  des intellectuels français pour Gramsci a été peut-être exagéré aussi par l’illusion que, en face d’ une crise des superstructures, soit suffisante se borner à une reponse superstructurelle; et, deuxièmement, par le fait  que quelques autres intellectuels aient eu  l’impression que Gramsci «exonère  de se poser la question de la détermination en dernière instance de l’économie» (ce qui est un concept-clé de la doctrine de Marx et de Engels;  pas par hasard, Buci-Glucksmann relie cette générale attention à Gramsci à la faible  «penétration en France de Marx et de Lénine»).

Mais, à part ces considérations, reste le fait incontestable que la popularité de Gramsci  – dans  la période 1965-1975 – a tiré ses origines  de la conscience très répandue que  dans l’ensemble de sa  pensée politique  on pouvait trouver  des réponses pas du tout éphémères sur le problème  de la «transition au socialisme» dans les Pays capitalistiques de l’ Occident et surtout  sur la question de l’ État et des ses «appareils  de hégémonie».

Ce  n’est pas un effet du hasard, comme le preuve  l’examen des textes parus  en France sur la pensée gramscienne, que les études plus intéressants et féconds ont été dédiés à ces deux problèmes: le livre de Hugues Portelli, Gramsci et le bloc historique (1972), et le livre  de Christine Buci-Glucksmann, Gramsci et l’État. Pour une théorie matérialiste de la philosophie (1975).

Enfin on doit souligner le fait que l’intérêt pour Gramsci n’est pas témoigné seulement par les  intellectuels mais aussi par les formations politiques, surtout – évidemment – de la gauche (Robert Paris a parlé d’ «une escarmouche  entre Parti Communiste Français  et Parti Socialiste Français pour s’accaparer Gramsci»).

Les rencontres dédiées par le  Parti Communiste Français et par le Parti Socialiste Français à l’étude et à la discussion de la pensée gramscienne dans la première moitié des années 1970 du vingtième siècle ont été sûrement plus  importantes du  fait  que – dans le même arc de temps – se soient multipliées, à la  Sorbonne et dans les autres Universités françaises, les thèses sur les différents aspects de cette pensée.

Sûrement les graines jetées au niveau  de masse par ces débats ont decidé de la  fortune  de Gramsci en France, grâce à l’aide, évidemment, de certaines apports   particulièrement stimulants: je pense au numéro special de la  revue «Dialectiques», discuté dans les Universités et dans les usines, comme refère Marcello Montanari dans l’article La «questione» Gramsci. Diffusione di masse in Francia delle opere del fondatore del Partito Comunista Italiano [La «question» Gramsci. Diffusion de masse en France des oeuvres du fondateur du Parti Communiste Italie ],  paru dans l’hebdomadaire du PCI, «Rinascita», 17 janvier 1975.

Ce n’est pas  donc par hasard que, en présence en France de cette  longue “escalation” de la diffusion de la connaissance  de Gramsci,  l’editeur Einaudi de Turin et l’Institut Gramsci de Rome aient choisi le siège de Paris pour présenter (juin 1975) au public international l’édition critique des Cahiers de prison d’Antonio Gramsci.

 

Deuxième partie

Gramsci en France, Des brèves mises à jour 1976-2017

1) Années 1980 du vingtième siècle: Gramsci théoricien de la Nouvelle Droite française?

Franco Fortini dans le «Corriere della Sera» du 28 décembre 1983 a écrit:  «La Droite, vieille et  nouvelle, a compris que  la route vers  le pouvoir passe à travers le pouvoir  culturel; et, avec désinvolture, declare de vouloir  appliquer sur ce terrain (mais seulement sur ce-ci) rien de moins que  les  indications d’un  certain Gramsci. Il faudrait connaître mieux comme notre  penseur a été introduit en France, si sur le plus influent journal parisien un rédacteur peut  définir le fondateur du Parti Communiste Italien “ce socialiste italien  du  debut du vingtième siècle” ».

L’analyse gramscienne des superstructures rappelle donc l’attention aussi des théoriciens de la  Nouvelle Droite française: en particulier de Alain de Benoist qui dédie à elle un chapitre du volume Vu de droite (1977), traduit en Italie en  1981, et du groupement GRECE (Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne) qui publie chez “Le Labyrinthe” (1982) un petit volume de 80 pages intitulé Pour un gramscisme de droite.

2) Années 1980 du vingtième siècle: qui  soutient en France la tranchée gramscienne?

Jacques Texier, Hugues Portelli et Christine Buci-Glucksmann, chercheurs français fortement engagés  – pendant les années 1960 et 1970 – à  faire connaître en  France la pensée gramscienne et à proposer l’actualité de la leçon gramscienne se dédient à des autres études.

Stefano Petrucciani, dans une nécrologie parue sur “il manifesto” le 18 janvier 2011: «Alors que, dans la seconde moitié des années 1980, la crise du marxisme semble complétement consommée, et une saison théorique semble définitivement conclue, Jacques Texier avance la proposition de recommencer de nouveau. Et en 1986, dans une manière sans doute provocante, fonde avec Jacques Bidet (dont le background n’est pas historiciste ou gramscien, mais plutôt althusserien; la collaboration entre le deux  durera plusieurs années, mais à la fin se rompra) la revue “Actuel-Marx”. Texier continue en tout cas à  approfondir le concept gramscien de “société civile”, qui  selon  lui  n’impliquait pas une nette séparation par rapport à la pensée de Marx».

Texier a dédié à Gramsci des autres écrits en 1987 (Razionalità rispetto allo  scopo e razionalità rispetto al valore  nei Quaderni del carcere. Note preliminari per una ricerca critica, dans Atti del convegno, Roma, 20-22 novembre 1987, dans le volume Modern Times. Gramsci e la critica dell’americanismo, par Giorgio Baratta et Andrea Catone, 1989), en 1989 (Gramsci face à l’americanisme. Examen du Cahier 22 des Cahiers de prison, dans le  volume, publié par André Tosel en 1992, qui recueille  les actes du colloque franco-italien de Besançon – 23-25 novembre 1989 – intitulé Modernité de Gramsci?), en 1999 (La guerra di posizione in Engels e Gramsci, dans Gramsci e la rivoluzione in Occidente par Alberto Burgio et Antonio A. Santucci) et depuis l’année 2000: l’essai Filosofia, economia e politica in Marx e Gramsci dans le volume Marx e Gramsci. Memoria e attualità par Giuseppe Petronio et Marina Paladini Musitelli, 2001); la voix “Société civile” du grand Dizionario gramsciano par Guido Liguori e Pasquale Voza, 2009)».

Hugues Portelli ne s’est plus occupé de Gramsci. Il est devenu administrateur et homme politique: il est passé à l’UDF (Union pour la Démocratie Française); il a travaillé en particulier  avec  Raymond Barre. Il s’est inscrit dés la fondation à l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire). En 2015, sur proposition de Sarkozy, l’UMP prend le nom “Les Républicains” (centre-droite).

L’eurocomuniste de gauche Christine Buci-Glucksmann s’est dédiée à des etudes nouveaux, en particulier dans le champ  de la philosophie esthétique (La raison baroque; Philosophie de l’ornement. D’Orient en Occident).

Une fin incroyable: le philosophe Roger Garaudy, qui avait mis en valeur Gramsci à l’intérieur du PCF,  est passé au front “negationiste” des chambres à gas et des champs d’extermination nazistes!

Pendant le années 1980 la tranchée gramscienne est tenue en France par André Tosel, par 1’autre philosophe marxiste Georges Labica et par le spécialiste de sciences économiques Jean-Pierre Potier, auteur  d’un soigné profil biographique de l’économiste plus lié affectivement à Gramsci, c’est-à-dire  Piero Sraffa.

En 1987 (51ème anniversaire de la mort de Gramsci) André Tosel a écrit  des mots pessimistes: «Aujourd’hui, en France, la figure de Gramsci semble effacée». Mais il conclut  son  intervention au colloque de Cagliari de l’octobre 1987 avec ces mots d’ espoir: «On ne peut pas exclure qu’un jour en France Gramsci soit repris. Il sera peut-être repris non comme dépositaire de la stratégie juste, mais comme immense recipient de problèmes, come source d’une pensée révolutionnaire inédite».

On peut dire que pendant  les  années 1990  la prévision de Tosel s’est partiellement  confirmée.  Sûrement ça n’ est pas arrivé par l’action du Parti Communiste Français de Georges Marchais (qui a été secrétaire général du PCF de 1972 à 1994), toujours renserré dans la défense d’une  conception politique et d’ une organisation du parti  caractérisée par une structure ossifiée (et donc de plus en plus historiquement lointaine, au fil des années, de la  clairvoyante  matrice antistalinienne qui anime la réflexion gramscienne); mais  – et ça est une confirmation du fait que les contradictions dialectiques sont toujours fécondes …– à mesure que a été achevée  (ça est  arrivé en  1996 avec la publication du  cinquième volume dédié aux Cahiers de la prison 1-5)  la traduction intégrale en français  des  29  Cahiers de la prison – exclus les quatre Cahiers  de traductions –  commencée en 1978, traduction qui a été  coordonnée  par Robert Paris avec un très grande soin mais aussi  avec une irréductible “antipathie” envers l’auteur Gramsci.

On peut trouver les derniers compte rendus sur la réception de Gramsci en France: 1) dans l’essai  de  Georges Labica  La réception de Gramsci en France: Gramsci et le PCF dans le volume, publié par  André Tosel en  1992, qui recueille les actes du colloque franco-italien de Besançon  (23-25 novembre 1989) intitulé Modernité de Gramsci?; 2) dans l’essai de Marc Soriano In Francia con Gramsci  publié dans le  n. 4/1993 de la revue “Belfagor”; 3)   dans l’essai de Tosel  Gramsci in Francia paru en italien dans le volume collectif Gramsci in Europa e in America édité par Laterza en  janvier 1995.

Tosel,  dans ce dernier écrit, observe:  «Dans la France de l’année 1994 des différentes recherches sollicitent  Gramsci pour repenser l’ensemble de problèmes irrésolus à la suite  de la double (et pas symétrique) défaite du communisme historique et de la  social-liberal-démocratie, pour critiquer le monde de plus en plus inhumain produit par la mondialisation capitalistique, dont le vrai  nom devrait  plutôt être ce de la désemancipation mondiale capitalistique».

Pour la chronique, et même pour l’histoire, on doit rappeler en tout cas  que  en 1997 les  socialistes s’imposent aux  élections politiques en France: Lionel Jospin devient Premier Ministre d’un  gouvernement duquel font partie aussi  les  représentants d’un  PCF finalement déstalinisé: dans cette opération un certain mérite  on doit l’ attribuer sûrement au travail – au niveau des idées – de la “vieille toupe” qui répond au nom de Gramsci…

Tosel avait vu juste.

Avant de  conclure en citant les chercheurs qui ont approfondi le thème objet de cette rencontre (pour cette raison nous les avons invités)  je dois  signaler le nom de   Razmig Keucheyan, professeur de sociologie dans l’Université Paris-Sorbonne (Paris-IV), éditeur de l’anthologie de textes d’Antonio Gramsci Guerre de mouvement et guerre de position, Paris, La Fabrique, 2011, et auteur d’un article superbe paru sur “Le Monde diplomatique” de juillet 2012 avec un titre d’ efficacité exceptionnelle Gramsci, une pensée devenue monde.

L’article de Keucheyan, qui est admirable pour le caractère exhaustif de la documentation  (on y trouve  aussi  les références  au “gramscisme di droite”, duquel  aussi moi, je m’étais occupé en 1978), représente un modèle pour la capacité de donner une synthèse de l’argument: «De la  France, de l’Europe à l’Indie, aux Pays Arabes, en passant par l’Amerique Latine, les écrits  de  Gramsci circulent et enrichissent la pensée critique».

Bien, voici les crédits  “gramsciens” des rapporteurs de cette rencontre comme des précédentes rencontres tenues  à Rome, le 5 dicembre 2017, chez l’auditorium de  l’Institut Français – Centre Saint-Louis, et à Cornaredo (près de Milan), le 7 dicembre 2017, chez le Théâtre communal “La Filanda”, gracieusement accordé  par la Municipalité  à l’association  culturelle sarde “Amedeo Nazzari” di Bareggio-Cornaredo (en province de Milan).

1)Le professeur Jean Yves Frétigné (né en 1966; actuellement maître de conférence en histoire à l’Université di Rouen), spécialiste français de l’histoire italienne du 1800  et du 1900, auteur de deux  importants essais sur la diffusion des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France: (La réception et l’influence de Gramsci chez les intellectuels français de 1945 à nos jours [début de l’année 2000] dans “La Rassegna storica del Risorgimento”, aprile-giugno 2003, pp. 293-324; L’âge d’or de l’influence de Gramsci en France, 1968-1977, dans Maria-Antonietta Macciocchi, figure intellectuelle et penseur politique des années Vincennes, 2010) a publié en 2017  une riche biographie Antonio Gramsci: vivre c’est résister (édition Armand Colin, 317 pages), qui est  la prèmière  en français ou au moins la première écrite par un Français.

2) Anthony Crézégut est agrégé d’histoire. Il travaille chez le Centre d’Histoire de Sciences-po (CHSP) à Paris, sous la direction de Marc Lazar. Il a écrit une thèse  de doctorat sur la réception de Gramsci en France. Il a publié dans la revue “Décalages” l’essai  Althusser étrange lecteur de Gramsci. Lire le marxisme n’est pas un historicisme (1965-2015) et il est en train de publier une recherche très approfondie sur le  thème Les prisons imaginaires de Gramsci. Généalogie d’une première édition française (1947-1959).

2) Sébastien Madau, né en 1980 à La Ciotat (commune près de Marseille) de père sarde originaire de Ozieri (province de Sassari), a été  rédacteur en chef  du quotidien regional “La Marsellaise”. Il a dédié sa thèse à Gramsci et a continué l’approfondissement avec des autres essais: Vie et reception d’Antonio Gramsci (écrite en  italien en 2002 avec la collaboration du professeur José Guidi, Université de Provence); Antonio Gramsci. De la Question méridionale à la Voie italienne au Socialisme (1926-1964) (écrite en français en 2003 avec la collaboration de la professeur Théa Picquet, Université de Provence).

3) Marco Di Maggio enseigne Histoire contemporaine dans  l’Université “La Sapienza” de Rome.  Parmi ses publications: Les intellectuels et la stratégie communiste: une crise d’hegemonie/1958-1981), Paris 2013;  et  Il PCI e il  PCF nella crisi del comunismo (1964-1984), 2014.

4) Anna Chiara Mezzasalma chez l’Université de Vienne a presenté une thèse écrite en allemand sur la  réception  de Gramsci en  Allemagne, mais elle a aussi   pris en considération sa réception en Italie, en France et en Angleterre.

5) Le professeur Giuseppe Còspito n’a pas  pu  être aujourd’hui avec  nous mais il a été avec nous à Rome et à Cornaredo et il a dejà consigné le texte définitif de son rapport intitulé  Christine Buci-Glucksmann interprete di Gramsci.

Giuseppe Còspito enseigne Histoire  de la philosophie auprès le Departement d’Études humanistes de l’Université de Pavie. Membre de la Commission scientifique de l’Édition Nationale des Écrits  de Gramsci, membre de la section  italienne de l’International Gramsci Society, membre du Comité scientifique et sécrétaire du Conseil de Direction de la “Ghilarza Summer School” – École internationale d’études gramsciens, de la Fondation Casa Museo Antonio Gramsci, du Comité scientifique de l’“International Gramsci Journal” et de “Gramsciana. Rivista critica internazionale”. Il a dédié à la pensée de Gramsci deux monographies (Il ritmo del pensiero, 2011; Introduzione a Gramsci, 2015), des nombreux  essais dans des  revues et dans des  volumes, interventions  dans plusieurs  rencontres d’études en Italie et à l’étranger.

 

Gramsci selon Claude Roy

Sut le  thème “La réception de Gramsci en France” en 2007 j’ai été en mesure de réaliser une  espèce de “scoop” en retrouvant un témoignage d’ un important écrivain français du vingtième  siècle, texte echappé, jusqu’à ce moment-là,  à tous les bibliographes (et nous savons que les éditeurs de la  Bibliografia gramsciana pour la Fondazione Istituto Gramsci sont des limiers  admirables: je me réfère à John M. Cammett  – mort en 2008, que j’ai eu l’honneur de connaître au colloque  gramscien tenu à  Formia, octobre 1989 – ;  à  Francesco Giasi, à Maria Luisa Righi).

Claude Roy, écrivain  français, né en 1915, après la Seconde guerre mondiale adhéra au Parti Communiste Français, il en sortit en 1957; après  les oeuvres engagées, du point de vue politique et idéologique, se dédia à l’autobiographie. En 1960 il a publié, chez Gallimard, un Journal des voyages (les voyages  concernent la France, la Chine, l’Italie).

Voilà ce que Claude Roy écrit aux  pages 198 et 199 de son “Journal d’Italie”, après avoir rencontré dans sa maison de Varèse (Lombardie) l’écrivan italien Elio Vittorini, qu’il avait connu à Paris.

«Avril [1948].

Dans le train entre Milan et Venise, je lis les Lettere dal Carcere de Gramsci, et je commence son livre Il Materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce. C’est une bonne lecture pour secouer l’énergie et préserver des paresses du découragement. Pourtant, le seul fait de lire aujourd’hui ces lettres, sous forme d’un livre, risquerait d’en atténuer la grandeur. Aujourd’hui, nous savons que l’espoir de Gramsci, et son pari obstiné sur l’avenir de l’Italie, des hommes, n’étaient pas vains, nous savons que Mussolini a pu faire mourir Gramsci, mais que finalement il a péri à son tour, et plus cruellement peut-être qu’il n’a pu faire périr aucune de ses victimes. Ce livre, il a été écrit jour par jour en onze ans de cachot, par un petit bossu, malade, miné, sublime – une des très grandes âmes du communisme mondial, qui écrivait dans le temps de la dérision générale et de l’oppression particulière, quand triomphait (semblait-il) le fascisme, que la persécution réduisait au silence ou à l’illégalité tous les compagnons de ce prisonnier – qui pourtant jamais ne s’accepte comme un seul homme.

On lit les lettres de Gramsci entre bord-des-larmes et exaltation. Le grand brigand qu’il rencontre dans un transfert de prison à prison ne veut pas reconnaître dans le petit homme chétif et usé le célèbre député Gramsci, perché Antonio Gramsci deve essere un gigante è non un uomo così piccolo, parce que Gramsci doit être un géant et non un homme si petit. Naïveté d’un pays où les statues des saints en font des Adonis bariolés, de beaux demi-dieux. Mais s’il faut se servir du mot, le vrai saint moderne, le voici: Antonio Gramsci. Rien n’a pu (sinon la mort, et que sa victoire ici pèse donc peu!) venir à bout de Gramsci. C’est-à-dire à bout de sa bonté, de sa délicatesse de cœur, de sa curiosité d’esprit, de sa volonté, de sa puissance de méditation et de travail. Malgré l’usure de la vie cellulaire, les humiliations et les brimades de milliers et de milliers de jours, malgré la réclusion et la maladie, l’oppression des geôliers et des codétenus de droit commun, Gramsci pendant douze ans a tenu, travaillé, approfondi sa pensée, préparé patiemment les jours du grand réveil, gardé l’esprit lucide et le cœur généreux. Cet homme martyrisé reste constamment d’une exquise, prévenante, attentive bienveillance. Ce prisonnier auquel on refuse ou chichement rationne l’encre et le papier, accomplit une des plus grandes œuvres de la pensée révolutionnaire moderne. Goliath fait des effets de menton au balcon du Palais de Venise. Mais, de sa prison, Gramsci, condamné, brimé, méconnu par ses amis, insulté par les autres, va de l’avant, travaille, médite et crée».

 

Traduzione

«Aprile  [1948]. In treno, tra Milano e Venezia, leggo le Lettere dal carcere di Gramsci, e comincio il suo libro Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce. È una buona lettura per scuotere l’energia e preservare dalle pigrizie dello scoraggiamento. Tuttavia, il solo fatto di leggere oggi queste lettere, sotto forma di un libro, rischierebbe di attenuarne la grandezza. Oggi, noi sappiamo che la speranza di Gramsci, e la sua sfida ostinata sull’avvenire dell’Italia, degli uomini, non erano vane, sappiamo che Mussolini ha potuto far morire Gramsci, ma che alla fine è morto anche lui, e più crudelmente forse di quanto non ha potuto far morire qualcuna delle sue vittime.

Questo libro è stato scritto giorno per giorno in undici anni di prigionia da un piccolo gobbo, malato, minato, sublime – una delle tre grandi anime del comunismo mondiale che scriveva nel tempo della derisione generale e dell’oppressione particolare, quando trionfava (sembrava) il fascismo, al tempo in cui la persecuzione riduceva al silenzio o all’illegalità tutti i compagni di questo prigioniero – che tuttavia mai si considera come un solo uomo.

Si leggono le lettere di Gramsci tra commozione al limite delle lacrime ed esaltazione. Il grande brigante che lo incontra in un trasferimento da prigione a prigione non vuole riconoscere nel piccolo uomo gracile e malandato il celebre deputato Gramsci, perché Antonio Gramsci deve essere un gigante e non un uomo così piccolo. Ingenuità di un Paese dove le statue dei santi ne fanno degli Adoni dipinti con colori vivaci, dei bei semidei. Ma se bisogna servirsi di un termine, il vero santo moderno, eccolo: Antonio Gramsci. Niente ha potuto (se non la morte e la sua vittoria qui pesa dunque poco!) averla vinta su Gramsci. Niente ha potuto averla vinta sulla sua bontà, sulla sua gentilezza d’animo, sulla sua curiosità di spirito, sulla sua volontà, sulla sua potenza di meditazione e di lavoro. Malgrado il logoramento causato dalla vita in cella, malgrado le umiliazioni e le angherie subìte in migliaia e migliaia di giorni, malgrado la reclusione e la malattia, malgrado l’oppressione dei carcerieri e dei detenuti per reati comuni, Gramsci durante dodici anni ha resistito, lavorato, approfondito il suo pensiero, preparato pazientemente i giorni del grande risveglio, conservato lo spirito lucido e il cuore generoso. Quest’ uomo martirizzato resta costantemente di una squisita, premurosa, sollecita benevolenza. Questo prigioniero, al quale si rifiuta o meschinamente si raziona l’inchiostro e la carta,  compie una delle più grandi opere del pensiero rivoluzionario moderno. Golia fa delle scene col mento dal balcone di Palazzo Venezia. Ma, dalla sua prigione, Gramsci, condannato, sottoposto ad angherie, disconosciuto dai suoi amici,  insultato dagli altri, va avanti, lavora, medita e crea».

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