
Paolo Pulina durante il convegno a Parigi dedicato a Gramsci in Francia
di PAOLO PULINA
Pubblichiamo il testo integrale della relazione in francese con cui Paolo Pulina, vicepresidente della Federazione Associazioni Sarde in Italia (F.A.S.I.), leggendone – per motivi di tempo – solo la prima parte, ha introdotto a Parigi, sabato 12 maggio 2018, i lavori del convegno internazionale su “La ricezione delle opere e del pensiero di Gramsci in Francia”. In questo sito sono state pubblicate tutte le informazioni sul convegno:
Première partie
La réception des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France, 1953-1975
J’ai dédié ma thèse en Lettres Modernes (Université de Milan, année universitaire 1977-1978, superviseur M. le professeur Franco Fergnani, enseignant de Philosophie morale) à “La ricezione di Gramsci in Francia” [“La réception des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France dans les années 1953-1975”].
Les pages concernantes les livres pas encore traduits – à celle date – en Italie ont eté publiées en octobre 1978, dans le n. 19, réferé à différents aspects de l’organisation culturelle en France, dans la revue “Bollettino per Biblioteche” [“Bulletin pour Bibliothèques”] de l’Administration Provinciale de Pavie.
Grâce à la publication de ce large extrait, mon travail a pu être connu par les spécialistes français de Gramsci, qui l’ont cité dans leurs écrits.
On peut voir l’essai de Georges Labica La réception de Gramsci en France: Gramsci et le Parti Communiste Français dans le volume, publié par André Tosel en 1992, qui recueille les actes du colloque franco-italien de Besançon, 23-25 novembre 1989, qui a le titre Modernité de Gramsci?
On peut voir l’essai de André Tosel Gramsci in Francia paru en italien dans le volume collectif Gramsci in Europa (France, Espagne, Angleterre, Russie) e in America (États Unis, Brésil, Amérique Latine) publié en Italie par l’editeur Laterza en janvier 1995, sous la direction de l’historien anglais Eric J. Hobsbawn (célèbre au niveau international) et sous la coordination de Antonio A. Santucci.
On peut voir la citation dans le livre de Peter D. Thomas, The Gramscian Moment. Philosophy, Hegemony and Marxism, 2009; et dans le volume intitulé Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position. Textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, 2011 et ensuite 2014 e 2016.
J’omets les autres citations dans les livres parus en Italie sur l’argument. Mai je ne renonce pas à signaler mon petit scoop, c’est-à-dire la découverte – bien d’années depuis ma thèse – d’un texte sur Gramsci écrit en 1948 par un important écrivain français du vingtième siècle, Claude Roy, texte echappé aux bibliographes.
En 1978, ma thèse se proposa donc de rétablir les étapes à travers lesquelles est arrivée la pénétration en France des écrits de Gramsci en traduction et s’est renforcée la diffusion de sa pensée, en particulier à partir des premières années 1960 du vingtième siècle, alors que – à conclusion d’un quinquennium dans lequel l’intérêt pour Gramsci de la part de spécialistes singuliers avait été intense – se réalise en France une véritable “Gramsci-Renaissance”, c’est-à-dire la découverte “enthousiaste” du penseur sarde de la part de vastes couches d’intellectuels.
Cette “explosion” d’études sur Gramsci n’est pas importante seulement parce qu’elle obtient le résultat d’une diffusion au niveau de masse du débat sur la personnalité et sur l’oeuvre du théoricien sarde, mais aussi – e surtout – parce qu’elle impose une reconsidération de Gramsci même en Italie.
En effet, les études sur Gramsci parus en France dans les années 1965-1975 appartiennent à la bibliographie essentielle pour tous les chercheurs qui veulent réfléchir sur Gramsci.
Analyser les étapes à travers lesquelles est arrivée en France la connaissance de Gramsci surtout dans les années 1965-1975 c’est utile pour établir une comparaison avec les phases contemporaines à travers lesquelles l’interprétation de Gramsci est passée en Italie.
Dans l’espace de ce rapport je peux seulement synthétiser les conclusions de mon étude du 1978, relatif à l’itinéraire historique de la diffusion des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France.
Dans la période 1949-1975 la “fortune” en France du théoricien marxiste italien est passée essentiellement à travers trois phases:
1) diffusion de l’image humaniste du «grand italien» (1949-1964);
2) discussion de Gramsci en tant que philosophe (1965-1968);
3) découverte de Gramsci en tant que homme politique (1969-1975).
Je pense que le causes de la très faible incidence de la pensée gramscienne dans le débat philosophique et culturel qui s’est développé en France jusqu’au 1965 ne résident pas dans le lieu commun du «chauvinisme culturel». Ces causes ont des racines précises dans la prédominance d’ une conception ossifiée, catéchistique, du marxisme et de la philosophie du marxisme (le soi-disant «matérialisme dialectique», le DIAMAT), comme a justement observé Jacques Texier (le philosophe qui plus que tout le monde a approfondi les thèmes objects de ma thèse et les analyses duquel je partage).
De ce point de vue la discussion de Gramsci en tant que philosophe est devenue une pierre de touche dans la perspective, et dans la réalisation, d’ une effective libération par rapport aux chaînes, aux anneaux étouffants du «materialisme dialectique», du dogmatisme de Staline et du conformisme de la politique culturelle établie par Staline et defendue avec acharnement par Andrej Aleksandrovič Ždanov.
La valorisation de Gramsci en tant que philosophe doit être attribuée sans doute à «l’evolution du débat théorique à l’intérieur du mouvement ouvrier international», comme a écrit Gian Carlo Jocteau (Leggere Gramsci, p. 136).
En 1965 paraissent les deux textes du philosophe Louis Althusser Pour Marx e Lire «Le Capital» qui “fondent” la recherche théorique marxiste de laquelle Althusser dans la préfation à Pour Marx déplore la «tenace absence» en France. La reconstruction épistémologique de la «philosophie marxiste» realisée par Althusser soulève un débat vaste et enflammé auquel participent tous les répresentants plus remarquables de la pensée marxiste (ci-inclus Jacques Texier).
Même Gramsci est jeté dans la mêlée. Dans Pour Marx Althusser proclame la «génialité» de Gramsci dans l’analyse du rôle et de l’action des superstructures (sur l’ensemble des rapports de production, qui constituent la structure économique de la société, s’élèvent des superstructures juridiques et politiques auxquelles correspondent des formes determinées de la conscience sociale).
Au contraire, dans Lire “Le Capital” (en particulier dans le chapitre Le marxisme n’est pas un historicisme) Althusser attaque durement la tradition historistique italienne et surtout la conception gramscienne de l’ «historicisme absolu».
Sur la découverte post-1968 de Gramsci en tant que homme politique et surtout sur la diffusion – au niveau de la masse des intellectuels français – des thèmes fondamentaux de sa pensée politique ont eté présentées des explications qui peuvent être facilement partagées.
1)Le reflux de l’influence idéologique des courants gauchistes (surtout celles d’ inspiration maoiste) a favori (à côté de certains phénomènes de régression politique) la récupération d’une analyse marxiste lointaine du conformisme stalinien ou néo-stalinien.
2) La crise du rôle traditionnel des intellectuels (qui s’est verifiée surtout en rapport avec les bouleversements produits par les idéologies de l’année 1968) a suscité l’intérêt vers le théoricien qui, dans le domaine marxiste, a plus que tout le monde approfondi l’étude de la fonction des intellectuels.
3) La question de la «transition au socialisme» dans les societés capitalistiques occidentales a trouvé dans la stratégie gramscienne de la «guerre de position» un point de repère fécond, ou mieux irremplaçable. En particulier le concepts gramsciens de “hégémonie” (direction politique des masses fondée sur leur consensus obtenu au niveau idéologique, donc dans le domaine des idées, grâce à l’action des intellectuels) et de “bloc historique” (l’hegemonie, mouvement qui part des intellectuels et qui s’adresse vers le peuple, crée un bloc historique de caractère social) deviennent populaires et diffusément utilisés.
En d’autres termes, Gramsci reconnaissait aux idéologies (la superstructure) la capacité de mobiliser les masses et de conditionner la structure économique, et d’agir, ainsi, sur le «bloc historique» (l’ensemble de la structure et de la superstructure) comme facteur de changement de la société toute entière.
Autour du phénomène de la «Gramsci-Renaissance» en France ont été formulées aussi des autres valutations que je considère pas convaincantes partiellement ou totalement.
- a) Selon la malicieuse explication psico-sociologique (referée au fonctionnement des mécanismes de la «mode culturelle») avancée par Robert Paris, l’infatuation des intellectuels français pour Gramsci a eté aussi une mode qui est survenue à l’épuisement d’ une autre mode analogue, celle pour le philosophe Louis Althusser.
- b) Il existe enfin une explication (a mon avis «ridicule») proposé en 1974 par Tito Perlini, selon lequel le phénomène de la «Gramsci-Renaissance» est le résultat d’une torve opération promue par le «révisionnisme»: «L’importance de la diffusion de Gramsci en France et en Europe se révèle pleinement si l’on pense à celle qui a été, en ce moment, la position du Parti Communiste Italien envers le Marché Commun Européen et envers les thèmes “européistes”: ce qui comporte l’adhésion aux organismes économiques et politiques européens (en soutien à Willy Brandt et à la Ostpolitik, conformement aux intérêts soviétiques)».
Nous ne pouvons pas exclure a priori che, même dans le cas de la «Gramsci-Renaissance», aient fonctionné les actions de la mode culturelle, exploitée ou promue par l’«industrie culturelle» et amplifiée par les mass-media (on peut considérer comme symbole de l’ image de Gramsci répandue par les quotidiens et par les hebdomadaires français d’information, entre les nombreux dessins qui à lui ont été dédiés, la vignette dessinée par Wiaz [Pierre Wiazemsky], parue dans «Le nouvel Observateur»).
Je crois toutefois que nous devons mettre au premier plan, parce que effectivement incontestables et essentielles, les explications enoncées auparavant aux points 1), 2) et 3).
En particulier, en rapport avec le point 2), je considère fondée l’observation de Christine Buci-Glucksmann selon laquelle l’intérêt de la part des intellectuels français pour Gramsci a été peut-être exagéré aussi par l’illusion que, en face d’ une crise des superstructures, soit suffisante se borner à une reponse superstructurelle; et, deuxièmement, par le fait que quelques autres intellectuels aient eu l’impression que Gramsci «exonère de se poser la question de la détermination en dernière instance de l’économie» (ce qui est un concept-clé de la doctrine de Marx et de Engels; pas par hasard, Buci-Glucksmann relie cette générale attention à Gramsci à la faible «penétration en France de Marx et de Lénine»).
Mais, à part ces considérations, reste le fait incontestable que la popularité de Gramsci – dans la période 1965-1975 – a tiré ses origines de la conscience très répandue que dans l’ensemble de sa pensée politique on pouvait trouver des réponses pas du tout éphémères sur le problème de la «transition au socialisme» dans les Pays capitalistiques de l’ Occident et surtout sur la question de l’ État et des ses «appareils de hégémonie».
Ce n’est pas un effet du hasard, comme le preuve l’examen des textes parus en France sur la pensée gramscienne, que les études plus intéressants et féconds ont été dédiés à ces deux problèmes: le livre de Hugues Portelli, Gramsci et le bloc historique (1972), et le livre de Christine Buci-Glucksmann, Gramsci et l’État. Pour une théorie matérialiste de la philosophie (1975).
Enfin on doit souligner le fait que l’intérêt pour Gramsci n’est pas témoigné seulement par les intellectuels mais aussi par les formations politiques, surtout – évidemment – de la gauche (Robert Paris a parlé d’ «une escarmouche entre Parti Communiste Français et Parti Socialiste Français pour s’accaparer Gramsci»).
Les rencontres dédiées par le Parti Communiste Français et par le Parti Socialiste Français à l’étude et à la discussion de la pensée gramscienne dans la première moitié des années 1970 du vingtième siècle ont été sûrement plus importantes du fait que – dans le même arc de temps – se soient multipliées, à la Sorbonne et dans les autres Universités françaises, les thèses sur les différents aspects de cette pensée.
Sûrement les graines jetées au niveau de masse par ces débats ont decidé de la fortune de Gramsci en France, grâce à l’aide, évidemment, de certaines apports particulièrement stimulants: je pense au numéro special de la revue «Dialectiques», discuté dans les Universités et dans les usines, comme refère Marcello Montanari dans l’article La «questione» Gramsci. Diffusione di masse in Francia delle opere del fondatore del Partito Comunista Italiano [La «question» Gramsci. Diffusion de masse en France des oeuvres du fondateur du Parti Communiste Italie ], paru dans l’hebdomadaire du PCI, «Rinascita», 17 janvier 1975.
Ce n’est pas donc par hasard que, en présence en France de cette longue “escalation” de la diffusion de la connaissance de Gramsci, l’editeur Einaudi de Turin et l’Institut Gramsci de Rome aient choisi le siège de Paris pour présenter (juin 1975) au public international l’édition critique des Cahiers de prison d’Antonio Gramsci.
Deuxième partie
Gramsci en France, Des brèves mises à jour 1976-2017
1) Années 1980 du vingtième siècle: Gramsci théoricien de la Nouvelle Droite française?
Franco Fortini dans le «Corriere della Sera» du 28 décembre 1983 a écrit: «La Droite, vieille et nouvelle, a compris que la route vers le pouvoir passe à travers le pouvoir culturel; et, avec désinvolture, declare de vouloir appliquer sur ce terrain (mais seulement sur ce-ci) rien de moins que les indications d’un certain Gramsci. Il faudrait connaître mieux comme notre penseur a été introduit en France, si sur le plus influent journal parisien un rédacteur peut définir le fondateur du Parti Communiste Italien “ce socialiste italien du debut du vingtième siècle” ».
L’analyse gramscienne des superstructures rappelle donc l’attention aussi des théoriciens de la Nouvelle Droite française: en particulier de Alain de Benoist qui dédie à elle un chapitre du volume Vu de droite (1977), traduit en Italie en 1981, et du groupement GRECE (Groupement de Recherche et d’Études pour la Civilisation Européenne) qui publie chez “Le Labyrinthe” (1982) un petit volume de 80 pages intitulé Pour un gramscisme de droite.
2) Années 1980 du vingtième siècle: qui soutient en France la tranchée gramscienne?
Jacques Texier, Hugues Portelli et Christine Buci-Glucksmann, chercheurs français fortement engagés – pendant les années 1960 et 1970 – à faire connaître en France la pensée gramscienne et à proposer l’actualité de la leçon gramscienne se dédient à des autres études.
Stefano Petrucciani, dans une nécrologie parue sur “il manifesto” le 18 janvier 2011: «Alors que, dans la seconde moitié des années 1980, la crise du marxisme semble complétement consommée, et une saison théorique semble définitivement conclue, Jacques Texier avance la proposition de recommencer de nouveau. Et en 1986, dans une manière sans doute provocante, fonde avec Jacques Bidet (dont le background n’est pas historiciste ou gramscien, mais plutôt althusserien; la collaboration entre le deux durera plusieurs années, mais à la fin se rompra) la revue “Actuel-Marx”. Texier continue en tout cas à approfondir le concept gramscien de “société civile”, qui selon lui n’impliquait pas une nette séparation par rapport à la pensée de Marx».
Texier a dédié à Gramsci des autres écrits en 1987 (Razionalità rispetto allo scopo e razionalità rispetto al valore nei Quaderni del carcere. Note preliminari per una ricerca critica, dans Atti del convegno, Roma, 20-22 novembre 1987, dans le volume Modern Times. Gramsci e la critica dell’americanismo, par Giorgio Baratta et Andrea Catone, 1989), en 1989 (Gramsci face à l’americanisme. Examen du Cahier 22 des Cahiers de prison, dans le volume, publié par André Tosel en 1992, qui recueille les actes du colloque franco-italien de Besançon – 23-25 novembre 1989 – intitulé Modernité de Gramsci?), en 1999 (La guerra di posizione in Engels e Gramsci, dans Gramsci e la rivoluzione in Occidente par Alberto Burgio et Antonio A. Santucci) et depuis l’année 2000: l’essai Filosofia, economia e politica in Marx e Gramsci dans le volume Marx e Gramsci. Memoria e attualità par Giuseppe Petronio et Marina Paladini Musitelli, 2001); la voix “Société civile” du grand Dizionario gramsciano par Guido Liguori e Pasquale Voza, 2009)».
Hugues Portelli ne s’est plus occupé de Gramsci. Il est devenu administrateur et homme politique: il est passé à l’UDF (Union pour la Démocratie Française); il a travaillé en particulier avec Raymond Barre. Il s’est inscrit dés la fondation à l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire). En 2015, sur proposition de Sarkozy, l’UMP prend le nom “Les Républicains” (centre-droite).
L’eurocomuniste de gauche Christine Buci-Glucksmann s’est dédiée à des etudes nouveaux, en particulier dans le champ de la philosophie esthétique (La raison baroque; Philosophie de l’ornement. D’Orient en Occident).
Une fin incroyable: le philosophe Roger Garaudy, qui avait mis en valeur Gramsci à l’intérieur du PCF, est passé au front “negationiste” des chambres à gas et des champs d’extermination nazistes!
Pendant le années 1980 la tranchée gramscienne est tenue en France par André Tosel, par 1’autre philosophe marxiste Georges Labica et par le spécialiste de sciences économiques Jean-Pierre Potier, auteur d’un soigné profil biographique de l’économiste plus lié affectivement à Gramsci, c’est-à-dire Piero Sraffa.
En 1987 (51ème anniversaire de la mort de Gramsci) André Tosel a écrit des mots pessimistes: «Aujourd’hui, en France, la figure de Gramsci semble effacée». Mais il conclut son intervention au colloque de Cagliari de l’octobre 1987 avec ces mots d’ espoir: «On ne peut pas exclure qu’un jour en France Gramsci soit repris. Il sera peut-être repris non comme dépositaire de la stratégie juste, mais comme immense recipient de problèmes, come source d’une pensée révolutionnaire inédite».
On peut dire que pendant les années 1990 la prévision de Tosel s’est partiellement confirmée. Sûrement ça n’ est pas arrivé par l’action du Parti Communiste Français de Georges Marchais (qui a été secrétaire général du PCF de 1972 à 1994), toujours renserré dans la défense d’une conception politique et d’ une organisation du parti caractérisée par une structure ossifiée (et donc de plus en plus historiquement lointaine, au fil des années, de la clairvoyante matrice antistalinienne qui anime la réflexion gramscienne); mais – et ça est une confirmation du fait que les contradictions dialectiques sont toujours fécondes …– à mesure que a été achevée (ça est arrivé en 1996 avec la publication du cinquième volume dédié aux Cahiers de la prison 1-5) la traduction intégrale en français des 29 Cahiers de la prison – exclus les quatre Cahiers de traductions – commencée en 1978, traduction qui a été coordonnée par Robert Paris avec un très grande soin mais aussi avec une irréductible “antipathie” envers l’auteur Gramsci.
On peut trouver les derniers compte rendus sur la réception de Gramsci en France: 1) dans l’essai de Georges Labica La réception de Gramsci en France: Gramsci et le PCF dans le volume, publié par André Tosel en 1992, qui recueille les actes du colloque franco-italien de Besançon (23-25 novembre 1989) intitulé Modernité de Gramsci?; 2) dans l’essai de Marc Soriano In Francia con Gramsci publié dans le n. 4/1993 de la revue “Belfagor”; 3) dans l’essai de Tosel Gramsci in Francia paru en italien dans le volume collectif Gramsci in Europa e in America édité par Laterza en janvier 1995.
Tosel, dans ce dernier écrit, observe: «Dans la France de l’année 1994 des différentes recherches sollicitent Gramsci pour repenser l’ensemble de problèmes irrésolus à la suite de la double (et pas symétrique) défaite du communisme historique et de la social-liberal-démocratie, pour critiquer le monde de plus en plus inhumain produit par la mondialisation capitalistique, dont le vrai nom devrait plutôt être ce de la désemancipation mondiale capitalistique».
Pour la chronique, et même pour l’histoire, on doit rappeler en tout cas que en 1997 les socialistes s’imposent aux élections politiques en France: Lionel Jospin devient Premier Ministre d’un gouvernement duquel font partie aussi les représentants d’un PCF finalement déstalinisé: dans cette opération un certain mérite on doit l’ attribuer sûrement au travail – au niveau des idées – de la “vieille toupe” qui répond au nom de Gramsci…
Tosel avait vu juste.
Avant de conclure en citant les chercheurs qui ont approfondi le thème objet de cette rencontre (pour cette raison nous les avons invités) je dois signaler le nom de Razmig Keucheyan, professeur de sociologie dans l’Université Paris-Sorbonne (Paris-IV), éditeur de l’anthologie de textes d’Antonio Gramsci Guerre de mouvement et guerre de position, Paris, La Fabrique, 2011, et auteur d’un article superbe paru sur “Le Monde diplomatique” de juillet 2012 avec un titre d’ efficacité exceptionnelle Gramsci, une pensée devenue monde.
L’article de Keucheyan, qui est admirable pour le caractère exhaustif de la documentation (on y trouve aussi les références au “gramscisme di droite”, duquel aussi moi, je m’étais occupé en 1978), représente un modèle pour la capacité de donner une synthèse de l’argument: «De la France, de l’Europe à l’Indie, aux Pays Arabes, en passant par l’Amerique Latine, les écrits de Gramsci circulent et enrichissent la pensée critique».
Bien, voici les crédits “gramsciens” des rapporteurs de cette rencontre comme des précédentes rencontres tenues à Rome, le 5 dicembre 2017, chez l’auditorium de l’Institut Français – Centre Saint-Louis, et à Cornaredo (près de Milan), le 7 dicembre 2017, chez le Théâtre communal “La Filanda”, gracieusement accordé par la Municipalité à l’association culturelle sarde “Amedeo Nazzari” di Bareggio-Cornaredo (en province de Milan).
1)Le professeur Jean Yves Frétigné (né en 1966; actuellement maître de conférence en histoire à l’Université di Rouen), spécialiste français de l’histoire italienne du 1800 et du 1900, auteur de deux importants essais sur la diffusion des oeuvres et de la pensée de Gramsci en France: (La réception et l’influence de Gramsci chez les intellectuels français de 1945 à nos jours [début de l’année 2000] dans “La Rassegna storica del Risorgimento”, aprile-giugno 2003, pp. 293-324; L’âge d’or de l’influence de Gramsci en France, 1968-1977, dans Maria-Antonietta Macciocchi, figure intellectuelle et penseur politique des années Vincennes, 2010) a publié en 2017 une riche biographie Antonio Gramsci: vivre c’est résister (édition Armand Colin, 317 pages), qui est la prèmière en français ou au moins la première écrite par un Français.
2) Anthony Crézégut est agrégé d’histoire. Il travaille chez le Centre d’Histoire de Sciences-po (CHSP) à Paris, sous la direction de Marc Lazar. Il a écrit une thèse de doctorat sur la réception de Gramsci en France. Il a publié dans la revue “Décalages” l’essai Althusser étrange lecteur de Gramsci. Lire le marxisme n’est pas un historicisme (1965-2015) et il est en train de publier une recherche très approfondie sur le thème Les prisons imaginaires de Gramsci. Généalogie d’une première édition française (1947-1959).
2) Sébastien Madau, né en 1980 à La Ciotat (commune près de Marseille) de père sarde originaire de Ozieri (province de Sassari), a été rédacteur en chef du quotidien regional “La Marsellaise”. Il a dédié sa thèse à Gramsci et a continué l’approfondissement avec des autres essais: Vie et reception d’Antonio Gramsci (écrite en italien en 2002 avec la collaboration du professeur José Guidi, Université de Provence); Antonio Gramsci. De la Question méridionale à la Voie italienne au Socialisme (1926-1964) (écrite en français en 2003 avec la collaboration de la professeur Théa Picquet, Université de Provence).
3) Marco Di Maggio enseigne Histoire contemporaine dans l’Université “La Sapienza” de Rome. Parmi ses publications: Les intellectuels et la stratégie communiste: une crise d’hegemonie/1958-1981), Paris 2013; et Il PCI e il PCF nella crisi del comunismo (1964-1984), 2014.
4) Anna Chiara Mezzasalma chez l’Université de Vienne a presenté une thèse écrite en allemand sur la réception de Gramsci en Allemagne, mais elle a aussi pris en considération sa réception en Italie, en France et en Angleterre.
5) Le professeur Giuseppe Còspito n’a pas pu être aujourd’hui avec nous mais il a été avec nous à Rome et à Cornaredo et il a dejà consigné le texte définitif de son rapport intitulé Christine Buci-Glucksmann interprete di Gramsci.
Giuseppe Còspito enseigne Histoire de la philosophie auprès le Departement d’Études humanistes de l’Université de Pavie. Membre de la Commission scientifique de l’Édition Nationale des Écrits de Gramsci, membre de la section italienne de l’International Gramsci Society, membre du Comité scientifique et sécrétaire du Conseil de Direction de la “Ghilarza Summer School” – École internationale d’études gramsciens, de la Fondation Casa Museo Antonio Gramsci, du Comité scientifique de l’“International Gramsci Journal” et de “Gramsciana. Rivista critica internazionale”. Il a dédié à la pensée de Gramsci deux monographies (Il ritmo del pensiero, 2011; Introduzione a Gramsci, 2015), des nombreux essais dans des revues et dans des volumes, interventions dans plusieurs rencontres d’études en Italie et à l’étranger.
Gramsci selon Claude Roy
Sut le thème “La réception de Gramsci en France” en 2007 j’ai été en mesure de réaliser une espèce de “scoop” en retrouvant un témoignage d’ un important écrivain français du vingtième siècle, texte echappé, jusqu’à ce moment-là, à tous les bibliographes (et nous savons que les éditeurs de la Bibliografia gramsciana pour la Fondazione Istituto Gramsci sont des limiers admirables: je me réfère à John M. Cammett – mort en 2008, que j’ai eu l’honneur de connaître au colloque gramscien tenu à Formia, octobre 1989 – ; à Francesco Giasi, à Maria Luisa Righi).
Claude Roy, écrivain français, né en 1915, après la Seconde guerre mondiale adhéra au Parti Communiste Français, il en sortit en 1957; après les oeuvres engagées, du point de vue politique et idéologique, se dédia à l’autobiographie. En 1960 il a publié, chez Gallimard, un Journal des voyages (les voyages concernent la France, la Chine, l’Italie).
Voilà ce que Claude Roy écrit aux pages 198 et 199 de son “Journal d’Italie”, après avoir rencontré dans sa maison de Varèse (Lombardie) l’écrivan italien Elio Vittorini, qu’il avait connu à Paris.
«Avril [1948].
Dans le train entre Milan et Venise, je lis les Lettere dal Carcere de Gramsci, et je commence son livre Il Materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce. C’est une bonne lecture pour secouer l’énergie et préserver des paresses du découragement. Pourtant, le seul fait de lire aujourd’hui ces lettres, sous forme d’un livre, risquerait d’en atténuer la grandeur. Aujourd’hui, nous savons que l’espoir de Gramsci, et son pari obstiné sur l’avenir de l’Italie, des hommes, n’étaient pas vains, nous savons que Mussolini a pu faire mourir Gramsci, mais que finalement il a péri à son tour, et plus cruellement peut-être qu’il n’a pu faire périr aucune de ses victimes. Ce livre, il a été écrit jour par jour en onze ans de cachot, par un petit bossu, malade, miné, sublime – une des très grandes âmes du communisme mondial, qui écrivait dans le temps de la dérision générale et de l’oppression particulière, quand triomphait (semblait-il) le fascisme, que la persécution réduisait au silence ou à l’illégalité tous les compagnons de ce prisonnier – qui pourtant jamais ne s’accepte comme un seul homme.
On lit les lettres de Gramsci entre bord-des-larmes et exaltation. Le grand brigand qu’il rencontre dans un transfert de prison à prison ne veut pas reconnaître dans le petit homme chétif et usé le célèbre député Gramsci, perché Antonio Gramsci deve essere un gigante è non un uomo così piccolo, parce que Gramsci doit être un géant et non un homme si petit. Naïveté d’un pays où les statues des saints en font des Adonis bariolés, de beaux demi-dieux. Mais s’il faut se servir du mot, le vrai saint moderne, le voici: Antonio Gramsci. Rien n’a pu (sinon la mort, et que sa victoire ici pèse donc peu!) venir à bout de Gramsci. C’est-à-dire à bout de sa bonté, de sa délicatesse de cœur, de sa curiosité d’esprit, de sa volonté, de sa puissance de méditation et de travail. Malgré l’usure de la vie cellulaire, les humiliations et les brimades de milliers et de milliers de jours, malgré la réclusion et la maladie, l’oppression des geôliers et des codétenus de droit commun, Gramsci pendant douze ans a tenu, travaillé, approfondi sa pensée, préparé patiemment les jours du grand réveil, gardé l’esprit lucide et le cœur généreux. Cet homme martyrisé reste constamment d’une exquise, prévenante, attentive bienveillance. Ce prisonnier auquel on refuse ou chichement rationne l’encre et le papier, accomplit une des plus grandes œuvres de la pensée révolutionnaire moderne. Goliath fait des effets de menton au balcon du Palais de Venise. Mais, de sa prison, Gramsci, condamné, brimé, méconnu par ses amis, insulté par les autres, va de l’avant, travaille, médite et crée».
Traduzione
«Aprile [1948]. In treno, tra Milano e Venezia, leggo le Lettere dal carcere di Gramsci, e comincio il suo libro Il materialismo storico e la filosofia di Benedetto Croce. È una buona lettura per scuotere l’energia e preservare dalle pigrizie dello scoraggiamento. Tuttavia, il solo fatto di leggere oggi queste lettere, sotto forma di un libro, rischierebbe di attenuarne la grandezza. Oggi, noi sappiamo che la speranza di Gramsci, e la sua sfida ostinata sull’avvenire dell’Italia, degli uomini, non erano vane, sappiamo che Mussolini ha potuto far morire Gramsci, ma che alla fine è morto anche lui, e più crudelmente forse di quanto non ha potuto far morire qualcuna delle sue vittime.
Questo libro è stato scritto giorno per giorno in undici anni di prigionia da un piccolo gobbo, malato, minato, sublime – una delle tre grandi anime del comunismo mondiale che scriveva nel tempo della derisione generale e dell’oppressione particolare, quando trionfava (sembrava) il fascismo, al tempo in cui la persecuzione riduceva al silenzio o all’illegalità tutti i compagni di questo prigioniero – che tuttavia mai si considera come un solo uomo.
Si leggono le lettere di Gramsci tra commozione al limite delle lacrime ed esaltazione. Il grande brigante che lo incontra in un trasferimento da prigione a prigione non vuole riconoscere nel piccolo uomo gracile e malandato il celebre deputato Gramsci, perché Antonio Gramsci deve essere un gigante e non un uomo così piccolo. Ingenuità di un Paese dove le statue dei santi ne fanno degli Adoni dipinti con colori vivaci, dei bei semidei. Ma se bisogna servirsi di un termine, il vero santo moderno, eccolo: Antonio Gramsci. Niente ha potuto (se non la morte e la sua vittoria qui pesa dunque poco!) averla vinta su Gramsci. Niente ha potuto averla vinta sulla sua bontà, sulla sua gentilezza d’animo, sulla sua curiosità di spirito, sulla sua volontà, sulla sua potenza di meditazione e di lavoro. Malgrado il logoramento causato dalla vita in cella, malgrado le umiliazioni e le angherie subìte in migliaia e migliaia di giorni, malgrado la reclusione e la malattia, malgrado l’oppressione dei carcerieri e dei detenuti per reati comuni, Gramsci durante dodici anni ha resistito, lavorato, approfondito il suo pensiero, preparato pazientemente i giorni del grande risveglio, conservato lo spirito lucido e il cuore generoso. Quest’ uomo martirizzato resta costantemente di una squisita, premurosa, sollecita benevolenza. Questo prigioniero, al quale si rifiuta o meschinamente si raziona l’inchiostro e la carta, compie una delle più grandi opere del pensiero rivoluzionario moderno. Golia fa delle scene col mento dal balcone di Palazzo Venezia. Ma, dalla sua prigione, Gramsci, condannato, sottoposto ad angherie, disconosciuto dai suoi amici, insultato dagli altri, va avanti, lavora, medita e crea».